Grandement humain

Posted by pierredelavie on mai 28, 2014

Transposer du questionnement à grande échelle, n’est ce pas se rendre responsable d’une projection personnelle à l’usage d’un ressenti collectif ? Accompagner la fonction architecturale par des signifiants d’un autre registre, n’est ce pas participer à la relation particulière d’un soi profond à un univers usuel ? Loin des espaces dédiés à l’art (galeries, musées) où tableaux, sculptures, installations restent à l’échelle humaine, l’art monumental a la particularité d’occuper tout notre champ de vision. Il en devient englobant. Et prendre du recul ne fait que dessiner les perspectives des rues et des bâtiments et souligner sa pertinence dans le paysage urbain. Ici, c’est l’interaction avec le contexte qui fait œuvre.

Celle ci entretient un rapport particulier avec le crédible. Elle excite la raison car elle se tient au seuil du possible. Travailler en très-grand-format, c’est  sortir du cadre référent de l’objet d’art mais c’est aussi s’emparer d’un espace dédié à l’architecture et en faire un nouvel objet sensible, porteur d’émotions.

La publicité grand format trace en nous des sillons de sens pauvres qui se développent de façon quasi réflex. Il semble intéressant, à l’inverse, d’utiliser les mêmes canaux de perception à des fins plus dignes. Ce détournement est nécessairement à la mesure du format employé. Car travailler à cette échelle n’est justifiable que dans la recherche du « grandement humain ». Ces bâches deviennent alors un nouveau support artistique, porteuse d’une mise en danger partagée, apte à expérimenter les liens invisibles du collectif.

39 georges V

« Immeuble déformé » 39, av GeorgesV, Paris 2007

Anthropomorphisme de l’architecture

Posted by pierredelavie on mai 28, 2014

Neo rapt architectural façade du Grand Palais printemps 2014

Il est dit que la maison est une représentation symbolique de soi, de notre psyché, comme de notre corps, celui que nous habitons. L’analogie est convaincante : le « ça » comme fondations, le « moi » en façade et le «surmoi »… à la cave ! Nous nous figurons avec un extérieur pour les autres et un intérieur auquel nous avons seuls l’accès. Entre les deux, des cloisons à géométrie variable. Comment matérialiser la membrane si poreuse entre conscient et inconscient ? Quel matériau serait assez isolant pour nous prémunir du traumatisme refoulé ? Le bâti possède des limites que la psyché traverse. Car l’inconscient ne reconnaît ni l’espace ni le temps. Il est, de mon point de vue, holistique, globalisant. En tous cas, il ne se situe pas dans les trois dimensions si implacablement imposées par le soi-disant réel. Il n’aurait donc pas sa place « à la maison » ce qui semble absurde puisqu’il trouve sa nourriture dans les scènes d’enfance familiales. Combien de rêves se déroulant dans des enchainement de pièces, de souvenirs comme des infiltrations de salpêtre au travers de vieux murs humides ? Les différents étages de notre moi sont ainsi explorés, certaines pièces nouvelles apparaissant, d’autres « relayées aux oubliettes ». Ne dit-on pas d’une personnalité qu’elle s’échafaude ? J’ai le sentiment que l’échafaudage est toujours un peu branlant, fait de bric et de broc, que derrière la certitude affichée de la belle façade proprement ravalée, les fondations restent incertaines. Plus loin encore, il arrive qu’on ne laisse aux immeubles que leur façade dite « patrimoniale » et qu’on les vide entièrement de leur intérieur pour les reconstruire sans âme.
Devant l’épreuve du temps, dans leur immense majorité, bâtiments et êtres humains font presque jeu égal. La déliquescence des premiers souvent retardée par la volonté plurigénérationnelle des seconds à les entretenir et les conserver. C’est une partie de nous-mêmes qui meurt quand un bâtiment disparaît.
Un bâtiment qui s’écroule, est tellement émouvant :  https://www.youtube.com/watch?v=G_vOosqoYUA, https://www.youtube.com/watch?v=1fO2GrJQeN4, https://www.youtube.com/watch?v=4-uKEmR4e4Y.
Une ruine qui perdure est sans doute une part de nous-mêmes sauvée, une larme que nous versons avec attendrissement.
L’architecture répond à un besoin vital de l’être humain : se représenter. Grâce à elle, il se sent exister. Il entre ainsi de « plein pied » dans une justification du réel, une preuve « taillée dans le marbre » de sa légitimité. L’architecture n’est pas créée par l’homme, elle créé l’homme.
Je propose une « art-chitecture » anthropomorphique qui nous corresponde. Fini la sévérité de nos parallélépipèdes défiant le temps, censés nous projeter dans la postérité ! Vivons un environnement en adéquation avec notre psyché. Acceptons de nous voir autrement : nous ne sommes pas faits que d’angles droits. L’homme-container, l’homme au carré n’est pas encore né. Pourquoi alors nous représenter de manière si figée ?
Créons une architecture de l’immédiateté, de la joie, de la peine et du sentiment pour que demain, un immeuble puisse tomber amoureux d’un autre.

Neo rapt architectural

« Neo/Rapt architectural » Grand Palais, Paris 2014

Mensonges urbains

Posted by pierredelavie on mai 28, 2014

Il serait un réel tellement évident que nous refusons de le voir. Cette réalité qui, par essence, est ce que nous sommes pose le problème de notre clairvoyance à l’égard de nous-mêmes. Si nous n’acceptons pas de voir la réalité des choses, comment espérer ne pas stagner dans un mensonge permanent ?
L’expression « Je ne crois que ce que je vois », employé communément pour exprimer une certaine défiance par rapport au réel, s’avère être une illusion redoutable, un paradoxe.
Si l’on ne « veut pas voir la réalité en face », on ne verra que le miroir de sa pensée. Dés lors, toute vision est subjective et on lui préférera le « Je ne vois que ce que je crois ».
Cette notion reste difficile à admettre, le réel étant censé représenter ce que nous possédons ensemble. C’est lui le grand rassembleur, le dénominateur commun, ce qui permet à chacun de se retrouver dans l’autre à travers une perception a priori identique des choses, preuve indiscutable que ce que nous voyons, sentons, entendons constitue notre environnement.
Si chacun se retrouve dans l’autre, n’y a-t-il pas une légitimité à penser que ce sont toujours des yeux par essence subjectifs qui nous obligent à voir cette réalité ? N’y a-t-il pas vertige dans ces conditions, à imaginer l’autre et plus encore, à imaginer la représentation qu’il a de moi ? Quelle réalité s’exprime quand la conscience de moi-même n’est que supposition ?

La réalité telle que nous la percevons dans les « grandes lignes » ne serait qu’une sorte de « fond de roulement », une convention sociale globalisante qui aurait pour principale fonction de garder le lien entre les êtres. Je crois exister, tu crois exister car nous portons le même mensonge. Dois t-on faire l’expérience du mensonge pour voir la réalité « sans fard » ?
A mon humble niveau je me propose de « faire mentir ce mensonge ».
Echafauder des mensonges  projetés verticalement serait une façon de « placer sous nos yeux » ce mensonge. Créer des « Mensonges urbains » serait une manière de projeter de façon flagrante sur un mur ce qui n‘est qu’illusion. Les représenter sur un registre monumental, à l’échelle de la ville, là où cette dualité est plus active et partagée, là où le commun est plus tangible qu’ailleurs, ne serait-ce pas un moyen d’ébranler nos certitudes mentales, pour provoquer une brèche dans nos croyances ?
Les réactions sont de l’ordre de l’immédiateté, un éclair, une seconde de chute de repères. (Pour moi, un instant de connivence totale avec le public). Une petite déstabilisation. L’esprit cherche à se rassurer sur la crédibilité de sa perception. « Ouf ! C’est un trompe-l’œil ! Je me suis fait avoir ! » Bon prince je m’amuse à jouer à ce qui est vrai ou faux. A l’image de ces volumes sculptés -qui parfois n’existent pas- et que l’esprit rematérialise. Recréer l’image absente…preuve que l’image de notre réel est un édifice en perpétuelle reconstruction. Il faut absolument que la réalité corresponde à l’image que nous avons d’elle.
Notre cerveau ne cesse d’employer son énergie à combler les brèches d’où le réel pourrait s’échapper. Cette activité mécanique est censée nous prémunir d’une perte totale de repères et, peut-être, d’un risque d’effondrement généralisé?
Détournement de Canebière

« Détournement de canebière  » Marseille Provence 2013 façade du palais de la Bourse Marseille

Vu et revu

Posted by pierredelavie on avril 28, 2014

Il s’agit des traces d’un événement violent. Elles émeuvent et questionnent. Ce sont elles qui sont mis en scène et non la scène initiale. L’œuvre est inscrite dans le temps car témoin d’un chemin déterminé, de celui-ci et pas d’un autre, de celui qui a eu lieu au milieu de tous les possible. Elle révèle l’existence car on ne peut échapper à l’histoire. On vit à rebours dans le sens inverse de la marche du temps. Nous reconstituons l’accident, nous projetant dans cet ailleurs, d’un autre moment. Perception de l’accident, comme intervention dans une linéarité. Phénomène déjà passé et pourtant vécu dans une dynamique, dans un présent qui nous rattrape. Ce qui reste est palpable et pourtant ne semblait pas envisageable. Dans ce « timeline » à rebours, il y a des blancs suggérés dans l’échafaudage logique. On avait (presque) oublié qu’il s’agissait d’un faux passé. C’est une affabulation pour nous transporter dans le doute, une brèche dans notre classement interne. Où se situe la vérité ? Dans la violence du choc? De ce constat qui relève d’un parcours inéxorable, on ne retient plus qu’une impossibilité. La tension créée par la confrontation de ces deux extrèmes nous emmène en un point improbable : rien que du très réél et du très mensonger en simultané. Ces deux mondes s’affrontent dans la recherche d’une cohérence mentale. Il nous fait reconsidérer nos certitudes et nous ouvre la perspective d’un point de vue. Serait-ce une manière à provoquer le regard face à un monde qui s’emballe et qui s’engouffre dans le déni ?

Chaises